I comme Isodore
Carnets de guerre d'un officier de la Légion étrangere

Jean Hallo

 

PAQUES 1944

Autant Pâques 1943 avait été, en Tunisie, une journée douloureuse, autant Pâques 1944 fut une journée joyeuse. Elle ouvrit pratiquement l'ère des Isidore à l'annonce de deux bonnes nouvelles:

- La 7e compagnie vient en effet de se classer première du bataillon à l'inspection américaine passée par le général de l'armée US Kingman.

- Le capitaine Grange vient de remplacer le capitaine Z. muté comme officier d'approvisionnement du bataillon.

Le capitaine Grange, dont il a déjà été question, se met bien vite dans la peau de «Soleil Isidore».
Je deviens son lieutenant en premier avec le commandement de la 1re section.
Les légionnaires connaissent bien leur nouveau capitaine, et certains depuis longtemps.
C'est une figure du bataillon. Sa classe, son intelligence et son dynamisme vont marquer rapidement le particularisme de la 7e compagnie qui va commencer à faire parler d'elle sous le vocable d' «Isidore ». Elle se taille en effet les places d'honneur dans tous les concours organisés au bataillon et n'est pas en reste non plus dans les dégagements divers où elle ne brille pas toujours, reconnaissonsle, par sa discrétion!
23.04.1944
Le 23 avril, nous quittons Port -Say pour la région de Bedeau, grand camp où doivent se dérouler nos premières manœuvres de division.
25.04.1944
Le 25 nous nous installons à Magenta - «l'affaire est dans le sac»,

rigolent les vieux légionnaires qui ont une solide formation historique pour avoir lu maintes fois sur les murs de leurs quartiers la célèbre citation du maréchal de Mac-Mahon.

Le bivouac s'installe rapidement par sections sous les rares plaques d'ombre que dispense une végétation assez clairsemée. À cinq jours de Camerone, l'activité de la compagnie est entièrement absorbée par la préparation de la fête qui doit se dérouler non loin de là, dans une vaste clairière de la forêt de Slissen où seront rassemblés les deux régiments de Légion de la 5e division blindée, le 1er REC et le RMLE.
Mais, avant cela, les deux régiments auront défilé à Bel-Abbès devant le général de Lattre. Chacun a sa part dans la préparation de la gigantesque kermesse qui s'organise à Slissen. Tout y sera gratuit: le vin, les femmes, les victuailles, sans parler des jeux forains, des attractions diverses et du cirque que le lieutenant -colonel Gaultier a réussi à persuader de monter jusque-là.
Les «Isidore» ont la charge importante, mais délicate, de réaliser l'installation d'un «Temple de l'Amour» susceptible d'héberger, dans le maximum d'intimité mais avec le maximum d'efficacité, les ébats amoureux des légionnaires de deux régiments entiers! Je laisse au général Arnaud de Foïard, aspirant à l'époque, le soin d'évoquer cette réalisation avec le talent qui fit de lui par la suite le directeur de l'enseignement supérieur de l'armée de terre
« Les installations mises en place en prévision de la satisfaction des pulsions libidineuses furent l'objet d'une attention soutenue. Une trentaine de demoiselles, sinon dans la force de l'âge, tout au moins dans celle de l'expérience patricienne, venant de divers établissements des alentours et mises au fait du caractère désintéressé du commerce pratiqué, arrivèrent en fin de matinée au lieu de leurs exploits.
« Elles furent installées à la périphérie d'une assez vaste arène, close de solides toiles de bâches, dans des isoloirs"bucoliquement" ouverts sur un ciel de frondaisons, et sommairement meublés de ce dont il est indispensable de disposer pour exercer le plus vieux métier du monde. Une seule entrée, une seule sortie, permettaient aux représentants de l'indispensable PM de faire respecter l'ordre et la circulation en cet éden légionnaire. Au centre, dans une tente sanitaire, un personnel compétent veillait tandis que deux de ses représentants, postés à l'entrée et munis de frustes mais solides moyens d'action consistant en un pinceau de bonne taille et un seau de permanganate, soumettaient les adeptes aux indispensables précautions prophylactiques...

«La décence interdit de s'attarder aux détails, mais il est bien dommage que certains, dignes des plus croustillantes aventures des copains de Jules Romains, dussent se perdre dans l'oubli. Qu'il suffise de dire que les cadences de transit étaient alertes et qu'il fallait qu'il en soit ainsi, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, la montée de l'impatience de ces queues d'attente pouvant dégénérer en émeute sans cette sage précaution... »
Et la fête mourut faute de combattants, tard, très tard dans la nuit où les Dodge 6x6 des compagnies venaient récupérer les derniers rescapés.
Nous sommes loin d'avoir tout dit sur cette kermesse, héroïque s'il en fut, qui vit le colonel Larnbert21 porté en triomphe par ses légionnaires et buvant du vin rouge dans son képi blanc, sous les yeux médusés du général de Lattre qui quitta Slissen la dernière bouchée avalée sous la tente où la température devait dépasser les 35°.
Nous avons tu seulement l'incident qui avait marqué le défilé du matin dans les rues de Bel-Abbès: un petit embouteillage qui avait arrêté la colonne pendant quelques minutes. Dieu que j'ai plaint le chef de voiture arrêté devant la tribune officielle et saluant éperdument le «Roi Jean» en attendant que la colonne s'ébranle enfin!

Nllegioen@hotmail.com